8 octobre 2024, le jour où nous sommes allés au tribunal...
Info : vous trouverez le compte-rendu faites par nos avocates en téléchargement au bas de cette page.
C’est au petit matin, ce mardi 8 octobre 2024, que des membres de l’association DDCM et des représentantes du Domaine du Grand Crès se sont donnés rendez-vous pour covoiturer vers Montpellier. La nuit a été très courte pour la plupart d’entre eux. L’orage dantesque qui s’est abattu sur les Corbières cette nuit-là et l’heure très matinale du rendez-vous y sont sûrement pour quelque chose mais c’est avant tout parce que ce mardi 8 octobre est attendu depuis des mois… C’est aujourd’hui, à 10h, au Tribunal Administratif de Montpellier que ces irréductibles ont rendez-vous avec leurs avocates pour défendre, lors d’une première audience, leur si beau plateau du Grand Crès contre la société Hexagone qui a le projet de le défigurer en y implantant une centrale photovoltaïque de 80 ha sur les communes de Ribaute et Tournissan. Des mois de lutte obstinée et constructive pour dénoncer ce saccage et cette aberration et pour enfin se faire entendre devant une juridiction.
Le fleuve Aude est franchi, sombre et boueux qui charrie la brève colère de la nuit. Partout au bord de la route, d’immenses flaques d’eau reflètent déjà l’aube claire et paisible. Ce sera une magnifique journée d’octobre, la lumière est prometteuse, Montpellier n’est plus très loin.
Arrivés au Tribunal Administratif, c’est une autre ambiance qui attend les détracteurs du projet. La solennité des lieux, leurs deux avocates qui revêtent leur robe sombre, l’entrée dans la salle du Languedoc, le silence pesant qui s’installe avant l’arrivée de la Cour rendent la tension palpable. Regards furtifs vers des avocats inconnus, l’atmosphère est tendue, les avocats concentrés...
L’arrivée de la Cour n’arrange rien à l’ambiance perçue mais met fin à cette attente stressante. La présidente de la formation du jugement prend la parole pour présenter les faits et les parties en présence et une surprise attend le groupe qui a fait le déplacement. Leurs avocates ne seront pas seules à se faire entendre, un des avocats présents vient représenter une autre partie qui s’oppose aussi au projet d’Hexagone. Le juge a choisi de grouper les dossiers le même jour. Il y aura donc trois avocats pour tenter de défendre le site du projet devant la juridiction.
Le rapporteur public prend la parole en premier pour exposer son opinion et son analyse des requêtes déposées par les différentes parties. Son exposé, très long, parfois inaudible, souvent incompréhensible pour des citoyens peu aguerris au vocabulaire juridique, est extrêmement technique à coup de citations et de conclusions d’autres juridictions. Le rapporteur se prononce uniquement sur la recevabilité des requêtes : elles seraient arrivées trop tard et donc jugées irrecevables. Ceci au regard d’un nouvel article de loi visant à supprimer les effets d’un recours administratif (impossibilité de saisir les juridictions en cas de rejet du recours car le délai de recours contentieux n’est pas prorogé) pour accélérer le traitement des recours et qui n’est pas favorable aux opposants au projet. Au regard aussi de la théorie dite « de la connaissance acquise » puisque DDCM et le Grand Crès avaient fait un recours gracieux. Le sens des conclusions du rapporteur est donc défavorable aux défenseurs du plateau. Leurs avocates ne sont pas surprises, elles avaient prévu ce scénario...
C’est donc aux avocats maintenant de se faire entendre. L’avocat de l’autre plaignante qui conteste elle aussi le projet d’Hexagone est appelé en premier. Sa plaidoirie, très pertinente est axée uniquement sur la conclusion du rapporteur et donc sur la forme du dossier. Il dénonce le manque de lisibilité suite à des manquements sur les panneaux d’affichage de Permis de Construire qui ne permettaient pas aux citoyens de se faire une idée de l’ampleur du projet. Et surtout l’ambiguïté de l’affichage qui laissait croire aux personnes qu’elles pouvaient faire justement, en toute bonne foi, un recours gracieux. Et l’injustice de cet article de loi de fin 2022 discutable, portant à 2 mois les délais de recours. Ces points devaient être aussi développés par les avocates de DDCM et du Grand Crès.
Quand celles-ci sont appelées à plaider, Maitre Cayssials, tout en soutenant les arguments de son confrère, doit alors faire évoluer sa plaidoirie car c’est elle qui devait défendre le dossier sur la forme. Elle s’est lancée dans une plaidoirie passionnée où, tout en plantant le décor de façon vibrante, elle a pu combiner brillamment le fond et la forme du dossier. Les préjudices sont apparus évidents et, à chaque point abordé, elle enjoignait la Cour à prendre en considération les atteintes majeures à la Nature, à la pérennité du Domaine viticole et la légitimité des requêtes contre le projet. Et à remettre dans un contexte particulier aujourd’hui dépassé le fameux article de loi R 311-6 « des 2 mois » (guerre en Ukraine, centrales nucléaires à l’arrêt, contexte de risque de pénurie d’électricité) pris en urgence et qui est défavorable à ses clients car il pénalise les citoyens en restreignant l’accès aux juges. Et qui fragilise cet état de droit qui veut que tout individu puisse exercer un recours devant une juridiction pour se protéger d’une décision de l’État. Deux mois c’est beaucoup trop court...
Les personnes présentes ont toutes été très sensibles au ton de ce discours et senti la juge très attentive à ce réquisitoire, hochant fréquemment la tête et intervenant même pour dire qu’elle avait bien pris conscience de l’ampleur du projet.
La plaidoirie de Maître Pahor-Gafari à la suite de sa consœur était alors très complémentaire puisqu‘elle devait intervenir uniquement sur le fond des requêtes. Elle a pu aborder absolument tous les points (biodiversité, risque incendie, défrichement...) et à chacun de ces points elle ne manquait pas de souligner les contradictions aberrantes du dossier.
La juge a donc semblé sensible aux réquisitoires des trois avocats successifs. Elle les a laissé plaider sans trop les contraindre dans le temps. Les réquisitoires ont duré 3/4 d’heure.
L’avocat d’Hexagone a pris la parole deux minutes en dernier pour dire qu’il se rangeait derrière les conclusions du rapporteur public...
La séance a été levée, la décision mise en délibéré et la tension est retombée. Un grand soulagement et une grande satisfaction pour le groupe des opposants au projet qui a pu entendre leurs avocates exprimer en grande partie leurs requêtes et les défendre avec brio sur tous les points de ce dossier.
La juge devrait rendre sa décision sous trois semaines. Quelle que soit cette décision, cette journée n’était qu’une première étape dans le combat contre la société Hexagone. Elle a permis l’expression de cette opposition devant une juridiction. D’autres décisions sont attendues et d’autres requêtes ont été portées qui, elles, ne pourront pas faire l’objet d’une attaque sur la forme. Les membres de DDCM, le Domaine du Grand Crès sont persuadés du bien-fondé de leur action et les soutiens toujours plus nombreux des citoyens qui ne cessent de se manifester ne font que les conforter dans leur combat.
Le collectif